Lors de ma visite des collections du Musée National de Wroclaw,une œuvre a retenu toute mon attention : un petit tableau de Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553). Daté des environs de 1531, il représente Eve dans un format pas très éloigné du carré (52 x 44,4 cm).
Ce qui m’a intrigué c’est son cadrage resserré. Dans ce petit format, presque toute l’histoire du péché originel est présente : Eve, le serpent enroulé sur la branche en haut à gauche, la pomme que l’on devine dans la main, le paradis figuré par une végétation luxuriante et un ciel dégagé. Deux possibilités : soit Cranach l’Ancien était un as du cadrage soit… le tableau originel a été découpé pour n’en garder qu’un fragment. Un élément vient, s’il le fallait, confirmer cette hypothèse : la présence des bois d’un cerf, derrière le nu féminin. En cherchant parmi les multiples « Adam et Eve » peints par Lucas Cranach, on trouve une version qui s’approche du fragment conservé par le Musée National de Wroclaw : c’est celle de la Courtauld Gallery londonienne. Elle représente Adam et Eve au Paradis entourés d’animaux – dont un cerf qui vient empiéter sur le corps d’Adam – devant l’arbre de la Connaissance sur lequel est lové le serpent. Eve est dans une position comparable à celle de la version du musée polonais.
Lucas Cranach l'Ancien, Adam et Eve, vers 1526, tempéra sur bois d'érable, 117 x 81 cm. Londres, Courtauld Gallery
Lucas Cranach avait donc peint une scène comportant les deux personnages dans un format bien supérieur. Le Musée National de Wroclaw nous apprend que l’œuvre se trouvait en Silésie lorsqu’au début du XVIIe siècle il fut non seulement amputé de la plus grande partie inférieure du tableau mais également transformé en portrait d’ancêtres…
En 1931, le tableau est parvenu au Musée Silésien des Beaux-Arts où les conservateurs découvrirent, grâce à l’analyse radiologique, que sous la couche du repeint se trouvait une autre œuvre. Il fallut plusieurs années (1933-1935) aux conservateurs pour révéler un Adam et Eve peint par Cranach. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le tableau connût un nouvel outrage : il fût une nouvelle fois découpé. Si Eve resta à Wroclaw, on localisa Adam, quelques années plus tard, en Suisse…